La magie nouvelle

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En 1996, alors âgés de 14 et 15 ans, Clément Debailleul et Raphaël Navarro se rencontrent au festival CIRCA à Auch, dont ils seront lauréats en 1997. Ils fondent en 2000 la compagnie 14:20, qui est à l’initiative d’un important mouvement artistique ces dernières années, celui de la magie nouvelle. 

D’où provient votre fascination pour la magie ?
Nous venons des arts du cirque et notamment du jonglage. Le jongleur travaille avec la gravité et, très vite, nous est venue l’envie que les balles ne retombent plus ou que le temps s’élargisse pour donner une plus grande fluidité dans la gestuelle. La magie et le cirque sont des arts cousins : dans les deux cas il s’agit d’aller chercher le mur des contraintes du réel.
Par ailleurs, la magie n’a pas de forme de départ. La danse s’exprime dans une chorégraphie, la peinture dans un tableau, le cinéma sur un écran : la magie peut prendre forme dans n’importe quel langage artistique. Avec la magie, le réel devient un enjeu en soi sur lequel on peut travailler, fonder un imaginaire ou une esthétique.

Pourquoi qualifier cette approche de magie nouvelle ? En quoi diffère-t-elle fondamentalement des pratiques habituelles de la magie ?
L’appellation magie nouvelle est d’abord une sorte de clin d’œil puisque nous sommes dans un pays qui aime beaucoup le nouveau : nouvelle cuisine, nouvelle vague, nouveau roman, nouveau cirque… Nous avions envie de marquer la rupture. Par ailleurs, le terme de magie recouvre des domaines tellement vastes que nous souhaitons la réhabiliter dans toute sa complexité alors qu’elle est un peu sclérosée, pour des raisons historiques ou économiques, dans une vision réductrice d’esthétique de cabaret ou de spectacle de variétés.
La magie est un langage bien plus vaste. La magie peut désigner une pratique occulte destinée à intervenir de manière surnaturelle sur le comportement de quelqu’un ou le déroulement des événements. On peut également citer la magie médicale : les rebouteux sont encore très consultés en France. La distinction avec la magie de spectacle ou de divertissement, qui existe depuis l’Égypte antique, n’est pas si nette.
Nous nous sommes demandés pourquoi des pratiques aussi variées étaient regroupées sous le même nom de magie et il nous est apparu que leur point commun est dans un positionnement par rapport au monde. Le monde n’est pas considéré comme un réel fini mais comme quelque chose dont les règles peuvent être dépassées. La magie pense le réel comme un matériau sur lequel on peut intervenir. Ce positionnement n’avait jamais vraiment été proposé comme un enjeu artistique en soi. La magie nouvelle essaie de travailler là-dessus, dans ce cheminement.

Vous donnez des conférences et des cours sur la magie, travaillez avec des philosophes et des ethnologues… Comment expliquez-vous ce souci de fonder scientifiquement la magie nouvelle ?
Nos recherches théoriques comportent plusieurs volets : nous travaillons sur le champ historique en étudiant la manière dont la magie a été pensée dans des époques et lieux différents. Nous nous intéressons aussi aux aspects ethnologiques de la magie. L’interrogation sur ce qu’est le réel est centrale pour la magie et nous cherchons donc à comprendre comment les hommes le perçoivent.
Toutes les magies travaillent sur les grands fantasmes humains : léviter, disparaître, se téléporter, être invulnérable, lire dans les pensées… Pourtant, si tout être humain rêve de dépasser ses limites, la manière de l’exprimer n’est pas universelle. Cela crée un espace à interroger, à explorer.

Au-delà du divertissement, souhaitez-vous faire réfléchir les spectateurs ?
Dans nos conférences, nous invitons modestement à partir de la magie pour réfléchir plus largement sur les manipulations politiques ou publicitaires. L’idée que la magie est liée à la manipulation est une notion extrêmement riche qu’on peut retrouver dans le rapport au corps, à l’objet mais aussi à l’esprit. Des artistes qui usent de la magie mentale comme Scorpène, rendent la réalité non ordinaire en devinant par exemple un mot choisi au hasard par un spectateur dans un livre de trois cents pages. Cela ouvre une réflexion autour de la relativité de notre liberté de penser. Il est évident que ces questions concernent aussi la parole politique ou le discours publicitaire.
Nous montrons aussi, par exemple, que les illusionnistes jouent sur le fait que l’être humain ne retient que cinq actions successives et s’appuient sur cette faiblesse pour faire diversion quand ils font disparaître un objet. De la même manière, la magie interroge notre perception du réel. L’œil humain est loin d’être l’organe le plus perfectionné de la nature. Il ne perçoit qu’une partie du spectre lumineux. Nous pouvons ainsi éclairer un acteur avec une lumière infrarouge qui existe mais que le spectateur ne perçoit pas pour faire se séparer l’ombre du corps. La magie interroge donc les appuis sur lesquels nous nous basons pour appréhender le réel et en questionne la fragilité. Elle peut contribuer à une perception plus juste du monde qui nous entoure.

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