Flamberge au vent !

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Fracasse

mardi 9.11.2021 à 20h30

Un roman au souffle shakespearien

Entre l’annonce de sa parution et sa publication en feuilleton, Théophile Gautier a mis presque trente ans à écrire Le Capitaine Fracasse. Cette fabrication longue et douloureuse va donner à l’œuvre une chair dense, riche, complexe et hétérogène.

Au fur et à mesure des pages, le lecteur est saisi par de nombreux paradoxes :

– Les souffles hugolien et shakespearien de ce roman à la fois noir et lumineux, sombre et joyeux. Deux auteurs dont Gautier est un très grand admirateur.

– Une histoire épique se déroulant dans un XVIIème siècle héroïque, avec des personnages de commedia dell’arte à l’introspection et aux états d’âmes freudien.

– L’élan premier du jeune auteur romantique, épris de fantaisie et de gaieté, et le poids de vie d’un homme de cinquante ans. L’histoire a gardé son souffle vital et enjoué mais les personnages sont cabossés et profonds. Ils portent des fulgurances existentielles que Gautier n’aurait pas écrit étant jeune. Comme Shakespeare dans ses dernières pièces, il ne s’embarrasse plus de vraisemblance dans l’intrigue et les personnages. Ce qui l’intéresse, c’est la vérité poétique. Celle qui parle du cœur même du réel. Comme le dramaturge anglais, il mêle avec virtuosité bouffonnerie et mélancolie noire.

– La déclaration d’amour pour le théâtre à travers la chronique de la vie d’une troupe d’acteurs. Gautier a été en première ligne lors de la bataille d’Hernani. Il aime profondément cet art à une époque où une pièce de théâtre pouvait être un enjeu de dispute nationale.

– L’exceptionnelle maîtrise de la langue française qui s’est affirmée pendant les années de critique littéraire de Gautier. Celui que Baudelaire appelait « le parfait magicien ès lettres françaises » ou que certains qualifiaient de « Eugène Delacroix du style » nous émerveille par son langage jouissif, la richesse de ses dialogues, sa poésie, ses fulgurances, sa truculence et sa puissance d’évocation.

La naissance d’un super-héros, la renaissance d’un homme

L’intrigue principale nous parle de la renaissance du baron de Sigognac. Prisonnier de l’héritage familial, de ses codes et de ses principes, il dépérit dans son château en ruine, en passant à côté de son existence. Lorsqu’un inattendu souffle de vie, porté par une troupe de théâtre, va le réanimer. En acceptant de se déclasser pour rejoindre ces acteurs errants, il va faire renaître les forces de vies en lui. Il découvre alors son identité profonde en devenant le « Capitaine Fracasse », un « super-héros » à la fois noble et grotesque, nouveau défenseur d’une vision comique et poétique du monde. Enchanter un monde sombre.

Le XVIIème siècle est une époque sombre et violente. Être acteur, c’est mener une vie de « crève-la-faim ». Les artistes sont des proies faciles dans un monde sauvage : harcèlement du Duc de Vallombreuse subi par Isabelle, dont elle ne peut se défendre car il est noble et qu’elle est comédienne ; passage à tabac de Léandre par les hommes de main du Marquis de Bruyères ; contrat passé sur la tête de Sigognac…

Il s’agit donc de créditer la dureté et la noirceur de cet univers.

Ainsi, le choix du Baron de Sigognac, de famille noble, de rejoindre cette pauvre troupe de comédiens apparaît comme un gigantesque saut dans le vide. L’humour, la truculence et l’héroïsme de ces personnages explosent, comme dans un tableau de Rembrandt : la lumière des forces de vie étincelle au milieu de la noirceur. Grâce à leur langage jouissif, ces comédiens enchantent le monde qui les entoure. L’éloquence et le panache sont des remparts pour tenir à distance la violence des forces de mort.

La foi dans le théâtre

J’ai appris le théâtre en travaillant sur de grands spectacles avec Roger Planchon, Laurent Pelly et Bruno Boëglin ; et en montant moi-même des pièces de Manfred Karge, d’Edward Bond et de William Shakespeare. Après avoir utilisé pendant quinze ans, au cinéma ou à la télévision, l’artisanat théâtral acquis au plateau auprès des acteurs, ce Fracasse, bouillonnant d’inattendu et d’enchantement me donne envie de recréer, de réinventer ce genre de spectacle épique, populaire, exigeant et généreux, et de faire, « flamberge au vent », ma déclaration d’amour et de foi absolue dans le théâtre !

Jean-Christophe Hembert