Mehdi Haddab : boy in the oud

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Dans les années 90, l’artiste algérien Mehdi Haddab, s’est imposé comme le “guitar hero” de cet instrument à cordes très prisé dans les pays arabes : le oud.

En tandem avec Smadj, au sein du fameux DuOud, il a joué les pionniers des alliages du oud et de l’électro. Avant de renouer avec ses premières amours métalleuses en fondant Speed Caravan en 2005. Artiste touche à tout, il prend aujourd’hui part au projet Love and Revenge aux cotés de Rayess Bek et La Mirza.

Comment êtes-vous venu au oud ?

Par le rock. A Alger, où j’ai grandi jusqu’à 14 ans, j’avais monté un groupe de rock au collège. Et on avait pour sorte de parrain le groupe Khinjar, qui faisait du hard rock orientalisant. Je trouvais que le mélange collait bien ensemble. Mon ami, guitariste de Khinjar, m’a dit : « si tu veux bien connaître les modes orientaux, achète-toi un oud ». Et il m’a filé un vinyle, un récital à Genève du oudiste irakien Munir Bashir, qui fut le premier à associer un oud avec des instruments d’orchestre : j’ai eu le coup de foudre et acheté un oud dans la foulée.

Au point de jeter votre guitare ?

Non, pas tout de suite. J’ai d’abord suivi ma mère au Burundi, où pendant trois ans, j’ai joué de la guitare avec des tas de musiciens de la RTNB (la radio nationale) en touchant à tous les styles. Mon apprentissage du oud a commencé à 19 ans, à l’Institut de musique arabe du Caire. J’ai eu plusieurs professeurs, libanais, égyptien, tunisien, algérien (Abdellaziz Abdella). J’ai écouté  des musiques du monde entier, j’ai beaucoup voyagé, du Maroc à l’Iran, et je suis allé au bout de cet instrument : après ce long chemin, je devais tuer mes maîtres. C’est là que le rock, le goût du gros son, m’a rattrapé.

Avec le groupe Ekova ?

J’ai commencé à électrifier mon oud pour des raisons techniques, pour qu’on l’entende mieux sur scène. Ekova (trio électro formé avec une chanteuse et un percussionniste NDLR) m’a permis de renouer avec les pulsations du rock. Et puis j’ai rencontré Smadj, en 2000, et on a fondé le duo DuOud : moi, je maîtrisais le oud, beaucoup moins les machines, lui commençait tout juste le oud, mais avait la culture de l’électro… On était à la fin des années quatre-vingt-dix, personne n’avait encore associé le oud à l’électro, ni mélangé oud acoustique et oud électrique. Avec Smadj, on s’est connecté à la scène londonienne, enregistré trois disques et fait le tour du monde.

Et après DuOud, il y a eu Speed Caravan…

Ces deux aventures se sont croisées. Je voulais de l’extrême, aller encore plus loin dans l’exploration des sons électrifiés, monter un projet carrément métal. Interpréter des thèmes traditionnels d’une façon moderne ne me suffisait plus, je voulais m’approprier des standards du rock comme Killing an arab ou Galvanize (sur Kalashnik Love, le premier album de Speed Caravan NDLR), montrer qu’on pouvait faire sonner The Cure ou The Chemical Brothers sur ce « bout de bois », qui est la traduction de  « oud » en arabe.

Avec, aussi, un certain goût pour le psychédélisme, non ?

Dans l’histoire du rock, je suis un grand fan des années soixante. Pour moi, c’est là que tout a pris racine. Le premier disque que j’ai acheté, à 11 ans, c’était The dark side of the moon. Plus tard, l’album 666 de Aphrodite Child, concept de Vangelis qui mélangeait références antiques, rock et psychédélisme, a été majeur pour moi. J’ai aussi aimé le lâcher prise créatif du desert rock, avec Queens of the Stone Age, qui s’enfermait dans un garage, prenait des drogues et faisait un album. Je suis un peu pareil, dans le sens où j’aime prendre mon temps, m’immerger dans un projet pour faire un album.

Pourquoi à Dakar ?

Au départ, c’était juste pour m’isoler. Mais je suis aussi un grand fan des musiques africaines. Pendant mes séjours, j’ai rencontré plein de musiciens, assisté à une soixantaine de concerts, dont un, mémorable, de Pape Diouf au Thiossane : du m’balax pur et dur, hardcore, musicalement très élevé. Ça commence à 2h du matin et ça joue jusqu’à 6 heures. Cette nuit-là, dans cette euphorie, cette énergie typique du mbalax, de l’afrobeat, du sousous guinéen et de toutes ces musiques côtières très nerveuses, je suis monté sur scène. Ça m’a convaincu qu’il  y avait un truc à faire avec cette folie électrique : je me suis dit que j’allais faire avec mon oud du hardcore tropical, en trouvant une vraie jonction entre le rock et le mbalax, mais aussi entre le Maghreb et l’Afrique sub-saharienne. Entre Biarritz, où j’habite, et Dakar, le point le plus à l’ouest du continent africain, mon horizon, c’est aussi l’Océan : je suis méditerranéen, j’ai grandi dans un puits, et aujourd’hui, je suis la grenouille qui veut voir l’Océan.

Le oud n’est-il pas sans frontières ?

Le oud est un instrument joué dans tous les styles, de Kuala Lumpur à Marrakech, en passant par Paris. Le rock, en revanche, est une culture. Les talents existent (et is sont plus jeunes que moi !), mais ce qu’il faudrait, c’est un Woodstock du oud !

Propos recueillis par Anne Berthod pour Télérama
Crédit photo Célia Bonnin

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