dans
la programmation
“Je dirais que ce qui les a amenés en maison centrale ne me regarde pas. C’est un peu comme la vie privée des acteurs dans ma compagnie Louis Brouillard, je ne la connais pas forcément”, Joël Pommerat
C’est en 2014 que Joël Pommerat, auteur et metteur en scène français plusieurs fois récompensé aux Molières, est sollicité par le directeur de la Scène nationale de Cavaillon au sujet de la requête d’une personne détenue à la Maison Centrale d’Arles qui souhaiterait mettre en scène une de ses créations. Après un long échange, Joël Pommerat accepte la proposition, bouleversé par l’envie inébranlable de fiction et d’invention de Jean Ruimi, détenu et futur membre de la Compagnie Louis Brouillard (compagnie de Joël Pommerat créée en 1990).
Cette première pièce est présentée à la Maison Centrale d’Arles en décembre 2017 et janvier 2018 et rencontre un franc succès. Certains acteurs du projet décident alors de poursuivre le travail théâtral donnant naissance à deux autres pièces : Amours (1) en 2019, puis Amours (2) en 2022.
Au cours de cette collaboration, Marius de Marcel Pagnol, une pièce publiée en 1929 développant les thèmes de l’évasion et de l’enfermement, s’impose à eux avec certitude : les interprètes en donnent une relecture contemporaine, personnelle et pertinente. La mise en scène ainsi que la représentation de Marius étaient alors une évidence.
Une réécriture contemporaine d’un classique de Pagnol
Marius est un jeune homme marseillais destiné à reprendre la boulangerie de son père César dont il est très proche. Il est amoureux de Fanny et sait qu’elle est la femme de sa vie. Malgré toutes ces certitudes, enfermé dans son commerce déserté par les clients, Marius rêve d’aventure. Mais céder à ses désirs reviendrait à abandonner sa famille…
Pour cette création, le mot d’ordre des créateurs, Joël Pommerat, Caroline Guiela Nguyen et Jean Ruimi, a été celui-ci : “Adapter, réécrire mais ne pas trahir”. Pour ce faire, c’est le procédé de l’improvisation dirigée qui a été choisi et appliqué pendant près d’un an et demi. Il permettait ainsi aux comédiens de s’approprier les personnages tout en enrichissant le texte final, du vécu et de l’imaginaire de chacun.
“Il y a dans Marius une forme de légèreté qu’il m’a semblé nécessaire d’évacuer. Quand on travaille en prison, on a à cœur de rendre compte d’une forme de gravité qui empreint la vie des personnes qui y vivent.” Joël Pommerat
Un des partis pris de la mise en scène est celui du naturalisme. Au plus proche du réel, la troupe opte pour un jeu authentique dénué de toutes fioritures. Le décor de la boulangerie de Pagnol devenue sandwicherie / salon de thé / snack sous Pommerat, exulte d’une inquiétante étrangeté témoignant de la volonté de refléter une réalité plus vraie que nature.
Ce décor emprunt d’une certaine aphasie permet à de nombreux questionnements, au cœur de l’œuvre de Pagnol, de prendre vie : Comment réussir sa vie ? L’amour est-il possible ? Est-il raisonnable de céder au désir de fuite ? Il devient alors le décor parfait permettant de réaliser la vision de Pommerat : “Le théâtre trouble cette évidence de ce qui nous distingue les uns des autres, de ce qui nous définit”. Sur scène (mais aussi dans les gradins), tous sont des humains régis par les mêmes règles du jeu et du théâtre, traversés par ces mêmes questionnements universels.
L’art en prison : plus qu’une activité “ludique et provocante”*, un droit inaliénable
L’administration pénitentiaire est régie par deux obligations : exécuter les peines et préparer la réinsertion sociale des détenus. Pour ce faire, plusieurs moyens sont mis en place notamment la découverte et la pratique artistique.
Jusqu’en 1945, seules les bibliothèques et la lecture relevaient d’une activité culturelle au sein des prisons (et cela uniquement pour une sélection d’ouvrages jugés bienséants). Dans les années 50, des études concluent que l’oisiveté mène au crime. C’est donc pour prévenir la récidive que le sport puis la radio, les concerts, le théâtre et même les sorties culturelles prennent une place importante dans ce processus. L’ambition est avant tout de restaurer la dignité des personnes condamnées, de créer de l’estime de soi ainsi que du lien social. Mais il faut attendre 1986 pour que, sous l’impulsion de Robert Badinter et Jack Lang, respectivement ministres de la Justice et de la Culture, l’art prenne une place majeure dans l’objectif de réinsertion des détenus.
Cette année, informé de soins du visage prodigués le jour de la Saint-Valentin à plusieurs détenus d’une prison de Toulouse (information qui finalement se révèle être inventée de toutes pièces), le garde des Sceaux et Ministre de la Justice, *Gérald Darmanin, prend la parole et adresse une instruction aux directeurs d’établissements pénitentiaires : les activités “ludiques ou provocantes” doivent être interdites, ou réduites drastiquement, à la faveur d’activités en rapport avec le travail, l’éducation, la langue française et le sport. Suite à cette prise de position, 122 activités culturelles prévues ont été annulées et cela dans 65 établissements des quatre coins de la France.
Le 18 mars 2025, plusieurs organisations dont l’Observatoire international des prisons (OIP), la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et le Syndicat de la Magistrature ont saisi le Conseil d’État pour suspendre cette décision dénonçant “l’approche uniquement punitive de la prison” et indiquant qu’elle participe à “entraver le droit de toute personne détenue à la réinsertion”.
Joël Pommerat résume brillamment ce que l’art dans les prisons représente c’est à dire un travail ni seulement social ou thérapeutique, mais une création artistique avant tout : “Je ne suis pas venu ici pour faire l’occupationnel, ou permettre aux prisonniers de “s’évader” durant les heures de l’atelier. Mais très égoïstement pour le plaisir de faire du théâtre”. C’est en ce sens que la pratique artistique en prison remplit tous les objectifs de réinsertion qui incombent aux établissements pénitentiaires.
Maëliss Doué