Cion : Le Requiem du Boléro de Ravel

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la programmation

Cion

vendredi 14.11.2025 à 20h

A l’heure de s’installer en salle, difficile de s’imaginer toute l’histoire qui s’apprête à se jouer devant nous ! Pourtant avec Cion, il est question de partager un rite important, empruntant une partition célèbre, qui se réinvente en transe sur cette scène devenue pour l’occasion un cimetière traversé de croix.L’héritage se danse avec Gregory Maqoma et  sa compagnie Vuyani Dance Theatre, dans leur spectacle Cion : Le Requiem du Boléro de Ravel.

Gregory Maqoma naît en 1973 à Soweto en Afrique du Sud, dans un contexte politique et social violent et où l’apartheid régit encore le quotidien du pays.
C’est pour échapper aux tensions politiques qui déchirent l’Afrique du sud que Gregory Maqoma entre dans d’ailleurs dans la danse. Il a commencé sa formation formelle en 1990 à Moving into Dance, dont il est devenu le directeur artistique associé en 2002.
Cette compagnie fondée par Sylvia ‘Magogo’ Glasser avait pour but d’entraîner des jeunes vivant dans des quartiers défavorisés afin qu’ils développent des compétences leur permettant de passer outre leur statut socio-économique. Créée en 1978, en pleine période d’apartheid, c’est une des premières compagnies composée de danseurs blancs et noirs.
Il intègre plus tard la célèbre école P.A.R.T.S. d’Anne Teresa De Keersmaeker en Belgique, il y découvre l’art du mouvement épuré, de la répétition et de la musicalité.
En 1999, il fonde sa propre compagnie, Vuyani Dance Theatre, et ouvre la voie d’une danse contemporaine sud-africaine affranchie des cadres imposés. Dans un pays où la danse contemporaine était encore perçue comme un art élitiste et occidental, Maqoma invente une forme afro-moderniste, à la frontière d’un passé douloureux à panser et d’un présent en construction. Pour cela, ses créations interrogent la mémoire coloniale, l’identité, la sexualité et les tensions d’un continent longtemps colonisé.
Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2017, Gregory Maqoma est aujourd’hui une figure de proue de la danse sud-africaine.

De Zakes Mda à Ravel, ou l’art de créer la partition d’un requiem…

Le titre Cion est une référence directe aux romans de l’écrivain sud-africain Zakes Mda, Ways of Dying et Cion, qui suivent le parcours du personnage Toloki, un « pleureur professionnel » traversant les villes en deuil d’un pays en mutation.
Chez Maqoma, Toloki réapparaît, silhouette errante entre les vivants et les morts. Le chorégraphe reprend ce personnage pour raconter l’histoire d’une humanité confrontée à la perte et à la nécessité de se souvenir.
En toile de fond il y a ce si connu Boléro, cette longue mesure, répétitive et obsédante, sans modulation particulière. Ce morceau évoque au chorégraphe les moments de veillées où l’on se place en cercle pour répéter en boucle des chants.
Dans Cion, la partition est revisitée : les instruments cèdent la place aux voix a cappella de chanteurs sud-africains, menés par Nhlanhla Mahlangu. Le Boléro, qui avait été écrit par Maurice Ravel pour faire danser, devient alors une prière.

…qui répare et fait danser les vivants

Sur scène, neuf danseurs et quatre chanteurs s’animent et rendent hommage à cette figure sud-africaine du pleureur qui, en faisant résonner des lamentations, donne sa voix à la douleur collective. Grâce à ces chants et ces danses, on accompagne le défunt et on se rassemble pour se réparer.
Cion est une invocation, qui ne s’embarrasse pas d’une narration non nécessaire dans cette expérience puissante. C’est une cérémonie et un hommage où les corps se souviennent. Un véritable appel à l’unité car de cette transe partagée naît la consolation.

Avec Cion, Gregory Maqoma offre une œuvre bouleversante, entre rite et manifeste. Une pièce qui parle de mort et déplore, comme Toloki, ce qui l’occasionne ; « non pas un phénomène naturel, mais les décisions des autres sur les autres. » Il est aussi question de vie, d’héritage, et bien sûr de ce qui donne aux lieux de spectacle vivant une raison d’être : de la puissance de l’art pour rassembler les âmes et les mémoires.

Justine Komé