Toute une partie à rejouer – Maldonne

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Maldonne

mardi 04.11.2025 à 20h

Respirations saccadées, silhouettes prodigieuses et vacillantes : c’est ainsi que beaucoup ont découvert le travail de Leïla Ka, lors de la cinquantième cérémonie des César. Alignées, les danseuses tombent et se relèvent au rythme d’une énergie haletante, contenue et d’un souffle presque oppressant. Ainsi débute Maldonne, une pièce qui s’ouvre sur ce tableau saisissant, prémice d’une  respiration nouvelle.

S’offrir des gestes et s’affranchir des mots

Autodidacte, Leïla Ka fait ses armes loin des conservatoires. Sans goût particulier pour la danse classique, qui fige les corps, c’est finalement un stage de hip-hop, à l’âge de 15 ans, qui vient bouleverser son rapport au mouvement et à la danse. Elle découvre la liberté, l’énergie brute et la précision d’un geste né de la rue.

Elle devient plus tard interprète de la chorégraphe et danseuse Maguy Marin, auprès de qui elle apprend la rigueur des comptes et la patience du corps au travail. En 2018, dans son premier solo, Pode Ser, elle révélera cette tension entre maîtrise et abandon, la précision qui aiguise la liberté ; il est alors déjà question du rapport à soi, aux autres, de rage douce et de quête d’émancipation.

Dans son solo Se faire belle (2022), elle invoque la révolte, le corps subit et exulte. Avec C’est toi qu’on adore (2020), elles sont deux interprètes au plateau, fortes et unies pour faire naître l’espoir. Et dans ces pièces, on fait valser pour mieux renaître.

Photographie des cinq interprètes du spectacle Maldonne de Leïla Ka
Puis elle quitte solo et duo pour créer Maldonne, une pièce avec cinq femmes sur scène, cinq corps qui s’épaulent, s’affrontent, s’harmonisent, se transforment et se parent de multiples tissus. De quoi retrouver l’élan que l’on pourrait imaginer être celui d’une fratrie de cinq sœurs, autrement dit, le décor de son enfance.

 

Cartes sur tables

Et puis il y a le titre : Maldonne. Quand les cartes sont mal distribuées et qu’il faut recommencer. Une référence directe à la situation des femmes aujourd’hui et aux si nombreuses inégalités qui imposeraient en effet de redistribuer, pouvoir, droits, moyens, accès…

Dans ce titre, on entrevoit également “madone”. Et cette double résonance laisse place à une figure sacrée qui explique peut-être toute la force du spectacle.

Photographie des cinq interprètes qui lancent des robes en l'air dans le spectacle Maldonne de Leïla Ka


Avec la madone en filigrane, les danseuses endossent d’autres figures familières et pour cela il y a sur scène pas moins d’une trentaine de robes, dénichées chez Emmaüs ou dans des friperies. À fleurs ou léopard, sages ou tapageurs, ces tissus sont donc le manifeste de vies passées en portant leurs propres histoires.

Si bien qu’avant même le mouvement, le costume raconte déjà beaucoup. Et quand la danse se déploie alors pour être expansive et libérée, le déséquilibre se transforme en élan, la danse résiste et défait les injonctions d’un revers de jupon.
Les corps dialoguent entre eux, puis avec la voix de Léonard Cohen ou s’abandonnent sur les paroles de « Je suis malade ». Dans tous les cas, les héroïnes de Maldonne refusent les règles.

Et s’il est de coutume de redistribuer les cartes quand il y a maldonne, on est bien plus enclins ici à vouloir que la partie se poursuive, aux côtés de ces artistes qui mènent le jeu d’une main de maître.

Justine Komé