dans
la programmation
Avec Les flammes, c’était moi, la compagnie L’île de la Tortue remet au goût du jour le poème épique qui conte le mythe d’Antigone et de sa famille. La Thébaïde de Stace résonne alors en ville à coup d’un puissant et collectif regard féminin donnant [corps et voix à celles qu’on oublie, qu’on efface, qu’on étouffe et qu’on cache” pour mieux voir (…) entendre (…) sentir et ressentir les combats, les résistances et les rages avec cette folle et joyeuse envie de tout bousculer] Audioblog – (in)VISIBLES
« Écoute cette Antigone dévouée au malheur des siens »**
La Thébaïde de Stace, divisée en douze livres, nous plonge dans la célèbre guerre des frères ennemis Etéocle et Polynice, fils d’Œdipe, qui s’entretuèrent sous les murs de Thèbes. Elle propose aussi une version peu connue du mythe d’Antigone. Dans ce poème épique latin, les deux frères se disputent ainsi le trône laissé par leur père. Etéocle s’en empare alors avec force chassant son frère, qui revient pour assiéger sa propre cité à la tête d’une armée. « Chacun d’eux est (alors) livré à sa Furie, qui l’irrite, l’aiguillonne. Elles-mêmes tiennent les rênes, ajustent les harnois. (…) Aveuglés par la rage, sans règle, sans art; (les épées des deux frères) se cherchent, se croisent; la fureur seule guide leurs coups; la haine étincelle sous leurs casques, et ils se lancent d’horribles regards*. Dans cette bataille sans merci personne n’en sortira indemne, les deux frères ennemis succombent l’un l’autre de leur folie meurtrière.
Créon, devenu régent, fait donner l’ordre d’ensevelir Etéocle qui a défendu la cité, et ordonne que Polynice, considéré comme traître, ne reçoive pas de sépulture et décrépisse à l’endroit où il a été vaincu. Antigone s’élève alors farouchement contre la décision de son oncle et jure qu’elle enterrera son frère dignement. Lorsqu’il l’apprend, Créon, fou de rage, la condamne, malgré l’avis du peuple, à mourir enterrée vivante dans une caverne. Une autre figure symbolique, Argia, l’épouse de Polynice qu’elle chérissait tendrement, s’oppose à cet ordre en soutenant Antigone contre vents et décisions immorales et insensées.
Cette œuvre se conclut par la mise en scène spectaculaire d’une centaine de femmes marchant aux côtés d’Antigone en quête de dignité et de justice. L’héroïne ne meurt pas à la fin. Ce n’est pas une tragédie, c’est une épopée !
Face à ce tyran, Antigone apparaît comme le symbole de la liberté et de la rébellion face au totalitarisme. Sa voix s’élève face à une criante injustice…
Entendez-vous ? La voix des invisibles gronde
Selon l’écrivaine et journaliste Murielle Szac, « les mythes sont nés pour proposer une explication à l’inexplicable (…) pour dire ce qui fonde notre humanité ». Ils aident à penser, et alimentent nos imaginaires. Aussi bien animés d’une violence inouïe, que d’une délicate tendresse, les mythes façonnent des figures légendaires. Raison pour laquelle, selon la metteuse en scène Sarah Mathon, ils résonnent toujours en nous. Raconter ces histoires aujourd’hui, ne serait-ce pas une tentative de réintroduire du symbolique dans une époque qui en manque cruellement? se questionne-t-elle. En mythologie, rien ne se résume à une dualité tranchée, tout converge vers le « pourquoi ? », ce qui ouvre à la pensée ambivalente et complexe, nécessaire pour appréhender notre société contemporaine.
Le mythe d’Antigone se transpose, et résonne avec des drames actuels. C’est un groupe héroïque de clameuses*** qui portent la nouvelle et s’élèvent ici à Colombes. Le jour J, le public est convié à la commémoration du décès de Polynice. Cet homme racisé, enfant de la Cité, est à terre, il ne respire plus… La douleur est innommable, insoutenable… le souffle se fait court, le feu de la colère bouillonne, la révolte gronde… Antigone, telle une boxeuse belliqueuse harangue la foule, et Junon, porte-parole des Femmes nous exhorte à « ne pas perdre de vue notre rage », tandis qu’Argia tente de continuer d’avancer… Au cours du spectacle les voix de ces femmes se lèvent, rappelant leur importance historique et intemporelle dans les luttes contre les violences structurant la société. Elles se veulent les porte-paroles des injustices qui ébranlent notre quotidien, en toile de fond défilent des drames qui ébranle notre époque. Il y a 20 ans, deux adolescents, Zied Benna et Bouna Traoré, meurent tragiquement à Clichy-sous-Bois. Poursuivis par les forces de l’ordre, les deux garçons s’étaient réfugiés dans un transformateur électrique dont ils ne sont pas sortis vivants. Cet évènement a donné lieu à des révoltes dans de nombreuses banlieues françaises. Sarah Mathon, la metteuse en scène, a grandi à Clichy-sous-Bois.
Dans son spectacle, le récit fondateur et millénaire d’Antigone résonne alors avec nos drames sociaux contemporains pour révéler le courage et la résistance de celles qui restent après l’inacceptable.
Tel un véritable plaidoyer alliant toutes formes du courage au féminin, entre danse, théâtre, slam et musique, Les flammes, c’était moi nous embarque dans cette aventure humaine qui relie et redonne du sens à nos vies citoyennes dans un théâtre plus vivant que jamais !
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* regard féminin
** extrait de La Thébaïde de Stace, livre XI
*** L’une des missions du service relation avec les publics est la sensibilisation et la désacralisation des lieux de culture auprès des publics dits éloignés. L’objectif étant de mettre en avant l’idée de l’art et de la culture pour toutes et tous. En travaillant avec l’association Escale Solidarité Femmes, l’Avant Seine / Théâtre de Colombes a à cœur de travailler avec une structure du territoire, et de pouvoir ainsi renforcer les liens déjà entretenus. Pour ce spectacle, une dizaine de femmes de l’association participent en amont à des ateliers, et font partie intégrante du spectacle.
L’Escale est une association féministe engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes, et notamment les violences conjugales. Elle œuvre pour protéger, accompagner, défendre et sensibiliser.
Morgane G. avec la complicité de Jeanne Lorotte de Banes